Datation carbone 14 des tableaux
Authentifier un tableau avec le carbone 14 : c’est la méthode permettant de dater le support (toile, bois, papier, carton…)
L’approche scientifique par matériaux est transchronologique. Il existe deux méthodes de datation utilisées par les laboratoires CIRAM :
- Le Carbone 14, réservé aux matériaux organiques : bois, papier, ivoire, os, cuir, textile
- La Thermoluminescence, dédiée à la terre cuite et aux matériaux chauffés.
Une approche globale pour une datation précise
Attention, la datation du support d’une œuvre ne correspond pas automatiquement à la date de création de l’œuvre. Pour l’étude des œuvres peintes, plusieurs types d’imagerie, en lumière naturelle, éclairage rasant, sous éclairage ultraviolet (UV) ou réflectographie infrarouge (IR) viennent compléter les techniques de datation conventionnelles. Toutefois, un problème demeure : comment analyser les matériaux qui ne sont pas datables, comme les pigments utilisés en peinture ?
L’approche anthropologique et historique pour compléter les résultats
C’est la connaissance historique des techniques de fabrication des pigments qui fournira des données chronologiques : l’utilisation de l’oxyde de chrome comme pigment vert à partir de 1840 par exemple ou la fabrication du blanc de titane (oxyde de titane) qui débute dans les années 1920. Ces investigations connaissent également des limites : les pigments naturels n’apportent aucune information chronologique réelle, on peut citer le cas de l’ocre qui a été employé pour les peintures pariétales de Lascaux !
Les principes de la datation carbone 14
Les fondements de la datation Carbone 14 reposent sur l’instabilité de l’isotope 14 du carbone. De même que la mort interrompt la vie humaine, la vie du lin ou du chanvre s’arrête lorsqu’il est récolté. C’est l’instant que date le carbone 14. Un organisme vivant contient une quantité constante de carbone 14, du fait des échanges avec l’atmosphère (respiration ou photosynthèse). À la mort de l’organisme, les échanges avec l’extérieur cessent et la quantité de carbone 14 diminue alors selon une loi exponentielle connue. Sa concentration est divisée par deux tous les 5730 ans. La limite de datation est aux environs de 60 000 ans. Au-delà, la quantité de carbone 14 est alors trop faible pour être mesurée par les techniques actuelles.
Cette technique révolutionnaire a valu à son inventeur, Willard Frank Libby, le prix Nobel de Chimie en 1960.
La variation du carbone 14 dans le temps, une donnée importante à prendre en compte
Les datations carbone 14 sont exprimées en années « Before Present » ou « BP ». Le « présent » du carbone 14 a été fixé à 1950 par Libby. Aujourd’hui, il est toutefois nécessaire de corriger ces valeurs, car la concentration en carbone 14 a varié au cours du temps, en fonction de l’activité solaire, des changements climatiques, ou de l’activité industrielle par exemple. On parle de résultats calibrés à l’aide de courbes de calibration. Ces courbes permettent de transformer l’âge BP en intervalles de dates calibrées associés à un pourcentage de probabilité (par exemple 450 ± 25 ans BP correspond après calibration à l’intervalle 1422 – 1471 apr. J-C. – probabilité de 95,4 %).
Le début de l’activité industrielle a, quant à elle, provoqué la diminution du taux de Carbone 14 et imposé des limites à la précision des mesures. A contrario, les essais nucléaires atmosphériques ont entraîné, à l’échelle mondiale, une élévation artificielle des taux de Carbone 14. Ceci permet d’obtenir des datations très précises (jusqu’à un à deux ans) pour la seconde moitié du 20e siècle.
Quelques exemples de tableaux datés et authentifiés par le carbone 14
Dans l’histoire de l’art, les cas de falsifications sont courants et c’est souvent grâce à une analyse complète que l’on a décelé des incohérences. Voici deux exemples :
- Un tableau d’un peintre suprématiste russe, daté de 1920, a vu son support de toile daté en définitive post 1954.
- Une composition de Picasso pour laquelle on proposait une datation au début du 20e siècle a révélé, après datation du support papier, que la fabrication du papier était antérieure à 1954, donc incompatible avec l’époque présumée.
De manière générale, il est beaucoup plus facile de prouver qu’un tableau est faux, plutôt que d’établir son authenticité :
- La datation d’un tableau attribué à Van Gogh a été conduite en deux temps. La datation du support tendait à une date compatible avec l’activité du peintre, à la fin du 19e siècle. L’analyse des pigments conduisit à une conclusion similaire, puisque les pigments détectés étaient connus au 19e et avaient été mis en évidence sur d’autres œuvres de Van Gogh. On citera par exemple un rouge vermillon, un vert d’arséniate de cuivre, un blanc de zinc, ou de l’ocre. Toutefois, ces pigments étaient connus et utilisés par tous les peintres à la même époque, et aujourd’hui encore. Le comité Van Gogh, composé d’historiens de l’art, eut à trancher pour une œuvre originale.
- À l’inverse, l’analyse d’un parchemin enluminé du 14e siècle confirma la datation du support. Les pigments quant à eux se révélèrent modernes… Il s’agissait d’une copie « intelligente » antérieure à 1950…sur un papier ancien. Il est donc indispensable de coupler les techniques d’analyse pour détecter les faux.
La datation carbone 14 est la première étape incontournable dans l’authentification d’un tableau. Mais, elle devra toujours être accompagnée de l’analyse chimique des pigments et de l’imagerie scientifique. De plus, il sera également nécessaire de compléter ces investigations scientifiques à une analyse stylistique et historique de la provenance et de l’avis des experts d’art.